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QUE FAIRE ? • 5/5 • UCL : démocratie directe, fédéralisme et autogestion 18/01/2022
L’Union communiste libertaire a vu le jour en 2019, suite à la fusion de deux organisations : Alternative libertaire, fondée au début des années 1990, et la Coordination des groupes anarchistes, née une décennie plus tard. Forte d’un journal mensuel et d’une cinquantaine de groupes et liaisons sur le territoire français, l’UCL s’inscrit, comme son nom l’indique, dans une tradition précise : « L’anarchie et le communisme sont les deux termes nécessaires de la révolution », lançait, peu après la Commune de Paris, l’un de ses fondateurs. L‘UCL invite à la constitution, dès à présent, de contre-pouvoirs dans l’ensemble de la société — dans l’espoir de former, à terme, un véritable double pouvoir. Autrement dit, un pouvoir populaire capable de remplacer le pouvoir d’État puis de travailler à l’instauration d’un ordre social fédéré, autogestionnaire et démocratique. S’écartant à la fois des hypothèses électorales, de désertion et d’appropriation de l’appareil d’État, les inspirations contemporaines de l’UCL sont notamment à chercher du côté du Mexique et de la Syrie : les zapatistes et le Rojava. Dans le cadre de ce dossier entièrement consacré aux différentes stratégies de rupture avec l’ordre dominant, nous avons discuté avec l’organisation.
La notion de « double pouvoir » reste peu connue. Lénine avançait, en avril 1917, que la révolution russe « a ceci de tout à fait original qu’elle a créé une dualité de pouvoir » : la société était coupée en deux, entre gouvernement provisoire bourgeois et Soviets. En termes contemporains, que recouvre cette notion, centrale dans votre Manifeste ?
Comme ça ne vous étonnera sans doute pas, la notion de double pouvoir telle qu’elle est théorisée par notre organisation, communiste et libertaire, n’est en rien une référence à Lénine. Elle s’inscrit dans un processus révolutionnaire qui fait passer la société d’un contrôle capitaliste étatique à ce que nous essayons de construire : une société communiste libertaire, autogérée, fédéraliste. Pour comprendre ce que nous entendons par « contre-pouvoirs », il est important de définir cette notion. C’est, selon nous, l’ensemble des structures syndicales, organisationnelles, associatives et politiques, au sens large, qui visent à une transformation directe et immédiate de la société. Dans notre définition, ce sont des organisations ayant pour vocation d’organiser les masses pour lutter contre les dominations (qu’il s’agisse du patriarcat, du racisme, du colonialisme, du validisme, etc.) et d’instaurer les solidarités nécessaires pour répondre aux appétits destructeurs du capitalisme et des systèmes d’oppression.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Des associations comme le Planning familial, Survie, les assemblées générales féministes locales, les collectifs et associations de lutte LGBTI, les collectifs de soutien aux personnes sans-papiers, ou encore les organisations antiracistes spécifiques et les collectifs de lutte contre les violences policières. Nous pensons que la révolution peut advenir au terme d’un processus marqué à la fois par des conflits sociaux — la lutte des classes se matérialisera nécessairement dans des conflictualités dues à l’antagonisme des intérêts de classes — et des expérimentations portées par des contre-pouvoirs. En période non révolutionnaire, les militant·es révolutionnaires libertaires doivent donc agir afin que ces contre-pouvoirs se construisent sur des bases autogestionnaires. Une fois constitués, ils ont pour vocation, en période pré-révolutionnaire — c’est-à-dire dans ce temps où le pouvoir étatique est débordé —, de servir d’armature à un maillage de structures véritablement démocratiques, dans lesquelles le pouvoir populaire se matérialisera. C’est dans ce moment de tensions fortes, où le pouvoir capitaliste est réellement remis en cause, que se dessinent les contours d’un pouvoir populaire qui n’est pas pour nous l’État ouvrier léniniste, mais bien une dynamique de démocratie directe, fédéraliste et contrôlée par la base. On peut parler alors de double pouvoir : au pouvoir étatique capitaliste s’opposent frontalement des fédérations de producteurs, des comités de quartier (nous n’avons pas de fétichisme des appellations : les pratiques nous importent davantage)… L’objectif n’est pas de substituer un pouvoir holiste à un autre, mais bien de remplacer le pouvoir étatique par un pouvoir populaire horizontal et autogéré.
Cette révolution, personne ne peut aujourd’hui l’anticiper.
Évidemment. Personne ne sait si et quand la révolution viendra. Mais il est de notre devoir de ne pas rester attentistes — d’autant plus qu’il s’agit d’une question de survie face à la brutalité de l’exploitation et à la crise climatique. S’il suffisait d’attendre que le capitalisme s’effondre sous le poids de ses contradictions pour arriver à la révolution, le militantisme n’aurait pas de raisons d’être. Il est donc de notre devoir de militant·es libertaires de tout mettre en œuvre pour que les conditions nécessaires à la révolution se développent : l’investissement dès aujourd’hui dans les contre-pouvoirs est indispensable. Peut-être pas suffisant, mais absolument nécessaire.
Vous occupez une position singulière dans la pensée stratégique : vous n’êtes ni favorables à la « poétique de la révolution » du mouvement autonome — émeutes, spontanéisme, sécession —, ni, on l’a vu, des nostalgiques du parti léniniste. Vous tenez cependant au moment révolutionnaire comme à un moment de bascule : il y aura un avant et un après.
Notre position n’est pas si singulière, de notre point de vue. Nous nous inscrivons dans une lignée déjà ancienne, dans une tradition révolutionnaire que l’on peut faire remonter à l’Internationale anti-autoritaire de 1872, qui est née de la rupture d’avec les marxistes orthodoxes. Depuis, des générations de révolutionnaires se sont succédé. Les libertaires ont été de tous les combats et nous avons su tirer quelques leçons des erreurs du passé. Ces débats sont anciens. On pourrait citer Malatesta qui promeut le gradualisme face à Kropotkine. Son idée, rapidement résumée, c’est de dire qu’il est peu probable que les conditions requises pour une révolution anarchiste adviennent toutes prêtes, et qu’il est donc nécessaire de préparer la révolution en s’emparant dès que possible de tout ce qui peut être gagné contre l’État et le capital — ce qui participe à affaiblir leur pouvoir. Plus proche de nous, dans les débats qui ont agité les mouvements révolutionnaires dans la période d’après 68, certain·es ont fait le choix d’être dans la construction de ces contre-pouvoirs, notamment via l’investissement syndical, en se gardant à distance de deux impasses : le léninisme et le nihilisme. La conception léniniste du parti révolutionnaire n’a pas été — et ne sera jamais, selon nous — en mesure de mener une révolution au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire une révolution globale des formes économiques, sociales, politiques et culturelles de la société. De même, s’en remettre complètement à la spontanéité n’est pas pour nous une option, d’autant plus que « Tout ce qui bouge n’est pas rouge », comme dit le proverbe… Le moment révolutionnaire, c’est donc ce moment où les forces sociales, les contre-pouvoirs, sont en mesure, non plus de défier le pouvoir étatique-capitaliste, mais de s’y substituer : c’est le « double pouvoir », comme nous l’avons dit.
Une fois ce stade atteint, il sera primordial de continuer à orienter ce processus révolutionnaire dans un sens autogestionnaire afin d’amener le dernier stade de transformation sociale que nous défendons, à savoir le pouvoir populaire. Que nous voulons d’essence libertaire. La bureaucratisation de ce processus — en ce qu’elle signifierait la fin de l’extension du pouvoir populaire à tous les domaines de la société pour s’en remettre à une force supérieure qui agirait en son nom — signerait alors la mort du processus révolutionnaire. Par contre, il ne nous est pas possible de dire aujourd’hui quelle forme prendra exactement ce moment révolutionnaire, la particularité des libertaires étant que nous n’avons pas de petit livre, fût-il rouge et noir, qui nous donnerait par avance la marche à suivre et une photographie de la révolution à venir. Pour autant, nous n’estimons pas être dans une logique de « laisser faire ». De même, nous ne partons pas du principe que la « bonne volonté populaire » saura trouver d’elle-même l’ensemble des réponses aux questions que posent nécessairement les périodes de troubles que représentent les révolutions.
D’où, on le devine, l’existence de votre organisation ?
L’une des raisons d’être de l’UCL est aussi de trouver dans notre pratique politique au quotidien des réponses potentielles aux questionnements légitimes qu’amènent un chamboulement total de la société et le renversement de l’ordre établi. C’est ce que certain·es camarades de la FOB Autónoma (Federación de Organizaciones de Base) d’Argentine appellent la « pratique préfigurative » : elle fait émerger dans le présent les solutions pour la construction d’un monde sans État pour demain, que nous tâchons de faire vivre dans notre organisation et dans les contre-pouvoirs que nous investissons.
Votre organisation est de taille modeste. Et vous faites effectivement savoir que le rôle des communistes libertaires sera de « contribuer à orienter le processus révolutionnaire vers une solution autogestionnaire ». Comment imaginez-vous pouvoir gagner en influence ?
Par nos pratiques autogestionnaires mises en œuvre dès à présent, dans les luttes que nous animons ! Cette « poétique de la révolution » peut être attirante pour certain·es. Elle donne des textes enflammés. Mais, au final, elle ne parle pas à grand monde et n’aboutit pas à grand-chose. Quant aux expériences marxistes-léninist