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Elections européennes : cinquante nuances de brun sur l'Europe
À l’heure d’écrire cet article, les effets des élections européennes sont encore incertains en France, où Macron a décidé de dérouler le tapis au Rassemblement national par la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais si dans l’hexagone l’extrême droite a connu un bond électoral spectaculaire, ce scrutin a malheureusement été l’occasion de constater que la progression concerne toute l’Union européenne. Y a-t-il basculement du continent vers le brun ? Quelles conséquences possibles pour les travailleurs et travailleuses européennes ?
Rappelons déjà les fondamentaux : dans le fonctionnement de la mégastructure européenne, le Parlement européen qui vient de se renouveler a finalement des possibilités limitées. Certes, il vote les directives rédigées par les commissaires européens et le budget, qu’il peut amender, mais il partage ce vote avec le Conseil de l’Union européenne (l’ensemble des ministres des États membres par domaine), et il ne possède pas l’initiative législative. Il ne dicte pas non plus les orientations politiques de l’UE, prérogatives du Conseil européen (qui rassemble les chefs d’États ou de gouvernement de chaque État). Il ne gère pas la politique monétaire, prérogative de la Banque centrale européenne.
À bien y regarder, ce n’est pas là que le pouvoir réside vraiment ! De quoi relativiser d’emblée l’enjeu de ces élections ou leur réelle portée démocratique, et avec une participation à 51% pour l’ensemble de l’UE (ajoutée à des différences de scrutins entre États qui compliquent la lisibilité du scrutin), il semble bien que ce soit le désintérêt pour cette mise en scène qui ait guidé les classes populaires d’Europe.
Une extrême droite multiforme
Même en prenant en compte ces éléments, il n’en reste pas moins que 180 parlementaires de toute l’extrême droite européenne ont été élus le 9 juin dernier (sur 705 sièges). Dans la plupart des pays de l’UE, l’extrême droite a obtenu des postes, ce qui lui assure ressources et positions supplémentaires. Seuls trois pays, la Slovénie, l’Irlande et Malte, n’ont pas d’élus de ce bord. Cependant, cette progression est inégale selon l’endroit, et l’extrême droite ne présente pas un visage uniforme.
Il y a bien sûr, à l’instar du RN (30 élus), du FPÖ en Autriche (six élus) ou de Fratelli d’Italia en Italie (24 élus), les mouvements historiques de l’extrême droite européenne, qui sont les descendants des organisations directement créées par les partisans du fascisme après-guerre. Généralement ces partis ont tout fait pour gommer cette filiation et présenter une face « respectable ».
Aux côtés de ces formations anciennes, se retrouve aujourd’hui l’ensemble des partis portés par leur « euroscepticisme » et la préférence nationale qui ont pu se créer en surfant sur les déceptions de la politique européenne : c’est notamment le cas de l’AfD allemande (quinze élus), à l’origine un parti libéral et souverainiste, ou encore du Parti pour la liberté hollandais (huit élus), de Vox en Espagne (six élus), ou de Chega au Portugal (deux élus). D’autres encore ont une histoire hybride, comme La Lega italienne (huit élus), ou encore le Fidesz hongrois (onze élus) qui fut jusqu’à présent classé seulement à droite malgré la politique illibérale, nationaliste et autoritaire de son leader Viktor Orban.
Enfin de manière plus marginale se trouve des mouvements ouvertement fascistes comme Notre Patrie hongrois (un élu), Reppublikka en Slovaquie (deux élus), ultraconservateur comme Confédération en Pologne (six élus) ou encore le Mouvement démocrate Patriote grec (un élu), ultranationaliste comme les mouvements AUR et Renaissance en Roumanie et Bulgarie (respectivement six et trois sièges) ou plus atypique comme le mouvement « Il y a un tel peuple » bulgare (deux élus), ou « La fête est terminée » en Espagne (trois élus).
Les différences de formes et de positions n’ont d’ailleurs rien à voir avec les groupes dans lesquels siègent ces formations au Parlement européen : ainsi, le RN français, dans le groupe Identité et démocratie, se retrouvera au côté de La Lega italienne, là où Fratelli d’Italia, siégera avec Reconquête au sein des « Conservateurs et réformistes européens » – où se retrouve les partis les plus radicaux. Une partie des organisations, nouvellement élues, sont sans groupe ou n’ont pas encore choisi.
Le racisme et l’exclusion comme fond commun
Au-delà, ces distinctions n’ont pas vraiment d’importance en soi, les groupes ne reflétant pas non plus les positions prises. Car si les égoïsmes nationaux guident fondamentalement ces formations politiques ils les divisent aussi entre elle. Un autre sujet clivant au sein de l’extrême droite et qui en limite la cohésion est le soutien à l’Ukraine en guerre. Une partie importante de l’extrême droite se présente comme pro-russe (en Hongrie, Bulgarie, Roumanie...) là où une autre considère la Russie comme un ennemi héréditaire (dans les pays Baltes, en Pologne...).
Mais pour le reste, elles ont largement plus en commun : une vision réactionnaire et conservatrice de la place des femmes, réduite à la natalité, la répression des minorités sexuelles, la chasse aux immigré·es, l’anticommunisme et par extension la haine de la gauche, la mise en pièce des libertés individuelles.
Économiquement, même si quelques différences peuvent se sentir, elles sont à grande majorité libérales dans la droite lignée des politiques menées en Europe, contrairement à la démagogie qu’un parti comme le RN peut distiller en France. On ne peut que constater le cynisme de ces formations, qui, se nourrissant d’un ressentiment légitime envers la politique d’austérité et de casse des services publics européenne, en sont finalement l’un des plus grands soutiens. Enfin, elles ont en commun leur défense absolue du modèle économique productiviste et sont vent debout contre les mesures écologiques, même timides, proposées en Europe.
Une UE toujours plus conservatrice et antisociale
Finalement, si les divisions de l’extrême droite européenne vont limiter son pouvoir de nuisance, le poids qu’elle a acquis au travers du Parlement européen, doublé de sa présence ou participation au pouvoir dans six gouvernements européens (Italie, Finlande, Hongrie, Croatie, Slovaquie et Suède), en font un danger non négligeable, notamment dans les tractations menées pour nommer les commissaires européens, qui sont les véritables artisans exécutifs des orientations européennes, et où elle pourrait appuyer les personnalités les plus rétrogrades.
Mais au-delà des structures caractérisées comme telles, c’est bien la diffusion des idées de l’extrême droite dans les autres formations politiques et l’ensemble de la société européenne qui représente le principal défi aujourd’hui. À cela doit répondre chez les révolutionnaires une pratique internationaliste antifasciste forte, la construction de luttes sociales communes, un travail en commun plus fort entre nos organisations politiques et l’aspiration à un projet politique anticapitaliste, démocratique et égalitaire qui dépasserait les frontières.
Hugues (UCL Fougères)